Hervé Corvellec
Professor
Critiques de l'économie circulaire : Cet article passe en revue les critiques faites à l'économie circulaire et aux modèles d'affaires circulaires dans près de 100 publications scientifiques.
Författare
Summary, in English
En quelques années, l'économie circulaire s'est imposée de la Chine à l’Union Européenne en passant par l’Amérique Latine, comme principe clé des politiques industrielles et environnementales. Elle s’est également imposée comme principe de développement stratégique d’entreprises, villes, régions, et réseaux professionnels. On connait moins bien les critiques théoriques et pratiques dont l’économie circulaire fait l’objet. Ces critiques mettent en avant le manque de clarté des définitions, mises en œuvre, et apports sociaux et environnementaux de cette économie. Elles dénoncent également son caractère idéologique. Nous avons rassemblé ces critiques dans un article récemment publié en anglais dans le Journal of Industrial Ecology. Cet article est disponible en accès libre (voir ci-dessous) et nous en présentons ici un résumé.
Une première critique théorique porte sur le manque de précision comme de cohérence de ses nombreuses définitions. Celle-ci recouvrent des choses aussi différentes que l’économie de la performance, le biomimétisme, l’éco-efficacité, la résilience, le capitalisme naturel et les techniques propres de production, et il n’est pas toujours aisé de dire ce qui en fait, ou n’en fait pas partie. De fait, se trouvent qualifier de circulaire des choses aussi différentes que le recyclage, la location, le développement de sites internet ou des conseils de lavage. Une telle variété empêche de délimiter clairement les contours de l’économie circulaire et de mesurer ses effets. À ce titre, l’économie circulaire a été qualifiée d’horizon, de vague récit, et de signifiant flottant voire vide de toute substance propre.
Une seconde critique, elle aussi théorique, dénonce le fait que l’économie circulaire néglige de nombreuses connaissances établies concernant par exemple, les lois de la thermodynamique sur l’entropie et la dissipation de la matière, ou les limitations des propriétés physiques des matériaux et des capacités technologiques. Des professionnels des déchets mettent en avant que l’économie circulaire tend à ignorer la complexité des déchets, leur toxicité, et le rôle que joue le secteur informel pour leur collecte et traitement dans de nombreux pays. Des chercheurs mettent en avant qu’elle n’aborde pas la question du futur des stocks de matériaux et objets accumulés par les humains, tend à réduire les pratiques sociales de consommation à des choix d’achats, ignore les potentiels effets de rebond qu’elle est susceptibles d’induire. En particulier, la question de la durabilité tend à y est réduite à celle de la consommation de ressources, et ce au détriment d’autres questions environnementales fondamentale comme la biodiversité.
La possibilité de mise en œuvre de l’économie circulaire a également fait l’objet de critiques pratiques. La politique d’économie circulaire de l’UE est considérée comme ayant été imposée par le haut, et sans que ses limites systémiques aient été clairement définies. À l’échelle des organisations, la circularité fait référence à des activités économiques aux qualités circulaires très différentes les unes des autres et parfois difficiles à cerner. Des chercheurs en gestion ont montré que certaines entreprises porteuses de l’économie circulaire ne développent d’activités circulaires que pour une partie de leurs opérations, sans pour autant réduire leurs activités linéaires. Ils mettent aussi en avant que la circularité est souvent limitée à certains segments des chaînes d'approvisionnement et de valeur, et qu’elle est autant difficile à généraliser qu’à valider. À l’échelle individuelle, enfin, elle reste largement inconnue du grand public, et d’un attrait commercial qui reste à démontrer. Il est suggéré que l’économie circulaire confronte les consommateurs à des choix difficiles, par exemple, concernant le rapport qualité/prix des produits ou le remplacement de la propriété par un droit à l’accès.
De même, ses contributions environnementales sont aléatoires, difficiles à établir, en particulier sur le long terme, et par exemple les transferts de ressources à travers le monde. En particulier, il n’est pas établi qu’une transition vers la circularité permette de découpler croissance et utilisation de ressources, contrairement à ce que ses promoteurs affirment. Il a été ainsi suggéré qu’elle ne saurait que retarder et non pas éliminer les impacts environnementaux négatifs de l’économie linéaire.
Les contributions sociales de l’économie circulaires sont également sur la sellette. "On ne voit pas clairement comment le concept d'économie circulaire conduira à une plus grande égalité sociale, en termes d'équité intergénérationnelle et intragénérationnelle, d'égalité des sexes, des races et des religions et d'autres diversités, d'égalité financière, ou en termes d'égalité des chances sociales. Ces questions morales et éthiques importantes sont absentes de la construction" affirment Murray et ses co-auteurs (2017).
Des critiques dénoncent l’économie circulaire comme idéologie dissimulée. Par exemple, elle présenterait l'attrait de promettre des résultats gagnant-gagnant et de permettre de parler de synergies et opportunités plutôt que de compromis et contraintes. L’économie circulaire est accusée de dépolitiser les politiques industrielles et environnementales tout en faisant la part belle aux marchés et aux entreprises. Celles-ci y sont conçues comme forces motrices du changement social alors que les autorités publiques sont réduites au rôle d’incitatrices et coordinatrices. Il a été montré que des entreprises utilisent leurs initiatives circulaires pour préempter les politiques environnementales et les rendre compatibles avec leurs intérêts stratégiques. De nombreuses solutions présentées comme circulaires semblent ouvrir la voie à un pouvoir accru des entreprises, voire même un renforcement du capitalisme de la surveillance.
Comme l’a enseigné Michel Foucault, « Une critique ne consiste pas à dire que les choses ne sont pas bien comme elles sont. Elle consiste à voir sur quels types d'évidences, de familiarités, de modes de pensée acquis et non réfléchis reposent les pratiques que l'on accepte” (1981). Les critiques de l’économie circulaire ne remettent pas en cause l’idée de circularité. Mais elles démontrent l'incohérence, l'incomplétude, les hypothèses cachées, et les conséquences non explicitées de bien des présentations de ses soi-disant avantages.
Nous suggérons de rebondir sur ces critiques et de poser des questions telles que : comment savoir si une solution circulaire est bonne pour l'environnement ? Comment peut-on transformer les institutions linéaires en institutions circulaires de façon inclusive et démocratique ? L'économie circulaire éliminera-t-elle ou complétera-t-elle l'économie linéaire ?
En conclusion, "[u]ne voie vers la circularité serait d’opter pour une économie circulaire modeste, qui ne soit pas présentée comme une panacée mais comme une solution réelle à des problèmes réels ; une économie circulaire concrète qui est claire sur le type de circularité qu'elle met en place et les conflits d'objectifs qu'elle implique ; une économie circulaire inclusive qui prend en considération l'énergie, les personnes et les déchets à l'échelle mondiale ; et une économie circulaire transparente responsable de ses réalisations comme de ses lacunes, notamment en ce qui concerne les changements économiques, sociaux et environnementaux".
Reference:
Corvellec, H., Stowell, A. Johansson, N. (2021) Critiques of the Circular Economy. Journal of Industrial Ecology. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/jiec.13187 (open access).
L’article contient les références des articles cités ci-dessus.
Une première critique théorique porte sur le manque de précision comme de cohérence de ses nombreuses définitions. Celle-ci recouvrent des choses aussi différentes que l’économie de la performance, le biomimétisme, l’éco-efficacité, la résilience, le capitalisme naturel et les techniques propres de production, et il n’est pas toujours aisé de dire ce qui en fait, ou n’en fait pas partie. De fait, se trouvent qualifier de circulaire des choses aussi différentes que le recyclage, la location, le développement de sites internet ou des conseils de lavage. Une telle variété empêche de délimiter clairement les contours de l’économie circulaire et de mesurer ses effets. À ce titre, l’économie circulaire a été qualifiée d’horizon, de vague récit, et de signifiant flottant voire vide de toute substance propre.
Une seconde critique, elle aussi théorique, dénonce le fait que l’économie circulaire néglige de nombreuses connaissances établies concernant par exemple, les lois de la thermodynamique sur l’entropie et la dissipation de la matière, ou les limitations des propriétés physiques des matériaux et des capacités technologiques. Des professionnels des déchets mettent en avant que l’économie circulaire tend à ignorer la complexité des déchets, leur toxicité, et le rôle que joue le secteur informel pour leur collecte et traitement dans de nombreux pays. Des chercheurs mettent en avant qu’elle n’aborde pas la question du futur des stocks de matériaux et objets accumulés par les humains, tend à réduire les pratiques sociales de consommation à des choix d’achats, ignore les potentiels effets de rebond qu’elle est susceptibles d’induire. En particulier, la question de la durabilité tend à y est réduite à celle de la consommation de ressources, et ce au détriment d’autres questions environnementales fondamentale comme la biodiversité.
La possibilité de mise en œuvre de l’économie circulaire a également fait l’objet de critiques pratiques. La politique d’économie circulaire de l’UE est considérée comme ayant été imposée par le haut, et sans que ses limites systémiques aient été clairement définies. À l’échelle des organisations, la circularité fait référence à des activités économiques aux qualités circulaires très différentes les unes des autres et parfois difficiles à cerner. Des chercheurs en gestion ont montré que certaines entreprises porteuses de l’économie circulaire ne développent d’activités circulaires que pour une partie de leurs opérations, sans pour autant réduire leurs activités linéaires. Ils mettent aussi en avant que la circularité est souvent limitée à certains segments des chaînes d'approvisionnement et de valeur, et qu’elle est autant difficile à généraliser qu’à valider. À l’échelle individuelle, enfin, elle reste largement inconnue du grand public, et d’un attrait commercial qui reste à démontrer. Il est suggéré que l’économie circulaire confronte les consommateurs à des choix difficiles, par exemple, concernant le rapport qualité/prix des produits ou le remplacement de la propriété par un droit à l’accès.
De même, ses contributions environnementales sont aléatoires, difficiles à établir, en particulier sur le long terme, et par exemple les transferts de ressources à travers le monde. En particulier, il n’est pas établi qu’une transition vers la circularité permette de découpler croissance et utilisation de ressources, contrairement à ce que ses promoteurs affirment. Il a été ainsi suggéré qu’elle ne saurait que retarder et non pas éliminer les impacts environnementaux négatifs de l’économie linéaire.
Les contributions sociales de l’économie circulaires sont également sur la sellette. "On ne voit pas clairement comment le concept d'économie circulaire conduira à une plus grande égalité sociale, en termes d'équité intergénérationnelle et intragénérationnelle, d'égalité des sexes, des races et des religions et d'autres diversités, d'égalité financière, ou en termes d'égalité des chances sociales. Ces questions morales et éthiques importantes sont absentes de la construction" affirment Murray et ses co-auteurs (2017).
Des critiques dénoncent l’économie circulaire comme idéologie dissimulée. Par exemple, elle présenterait l'attrait de promettre des résultats gagnant-gagnant et de permettre de parler de synergies et opportunités plutôt que de compromis et contraintes. L’économie circulaire est accusée de dépolitiser les politiques industrielles et environnementales tout en faisant la part belle aux marchés et aux entreprises. Celles-ci y sont conçues comme forces motrices du changement social alors que les autorités publiques sont réduites au rôle d’incitatrices et coordinatrices. Il a été montré que des entreprises utilisent leurs initiatives circulaires pour préempter les politiques environnementales et les rendre compatibles avec leurs intérêts stratégiques. De nombreuses solutions présentées comme circulaires semblent ouvrir la voie à un pouvoir accru des entreprises, voire même un renforcement du capitalisme de la surveillance.
Comme l’a enseigné Michel Foucault, « Une critique ne consiste pas à dire que les choses ne sont pas bien comme elles sont. Elle consiste à voir sur quels types d'évidences, de familiarités, de modes de pensée acquis et non réfléchis reposent les pratiques que l'on accepte” (1981). Les critiques de l’économie circulaire ne remettent pas en cause l’idée de circularité. Mais elles démontrent l'incohérence, l'incomplétude, les hypothèses cachées, et les conséquences non explicitées de bien des présentations de ses soi-disant avantages.
Nous suggérons de rebondir sur ces critiques et de poser des questions telles que : comment savoir si une solution circulaire est bonne pour l'environnement ? Comment peut-on transformer les institutions linéaires en institutions circulaires de façon inclusive et démocratique ? L'économie circulaire éliminera-t-elle ou complétera-t-elle l'économie linéaire ?
En conclusion, "[u]ne voie vers la circularité serait d’opter pour une économie circulaire modeste, qui ne soit pas présentée comme une panacée mais comme une solution réelle à des problèmes réels ; une économie circulaire concrète qui est claire sur le type de circularité qu'elle met en place et les conflits d'objectifs qu'elle implique ; une économie circulaire inclusive qui prend en considération l'énergie, les personnes et les déchets à l'échelle mondiale ; et une économie circulaire transparente responsable de ses réalisations comme de ses lacunes, notamment en ce qui concerne les changements économiques, sociaux et environnementaux".
Reference:
Corvellec, H., Stowell, A. Johansson, N. (2021) Critiques of the Circular Economy. Journal of Industrial Ecology. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/jiec.13187 (open access).
L’article contient les références des articles cités ci-dessus.
Avdelning/ar
- Institutionen för tjänstevetenskap
Publiceringsår
2021-08-31
Språk
Franska
Länkar
Dokumenttyp
Webbpublikation
Förlag
Economiecirculaire.org
Ämne
- Business Administration
Nyckelord
- Circular Economy
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Published
Projekt
- Relations in Circular Business Models
- Circular North Sea Regions - Improving Governance for the Circular Economy